Projet

Nous construisons une base de données des manuscrits liés à la Bible historiale et à la Bible du XIIIe siècle. Ces deux textes en prose ont ensemble, et par "ensemble" il faut comprendre toutes les versions, permutations et augmentations possibles, été reçus comme la Bible « en français » mais également comme la Bible française pendant plus de deux siècles si l'on songe que les versions imprimées de la Bible Historiée de Jean de Rély jusqu'en 1550 sont des éditions de celle de Guyart-des-Moulins. Notre projet vise à compléter et à augmenter les catalogues en profitant des capacités analytiques non hiérarchiques que l’informatique apporte à l’étude des grands corpus, et en permettant à l’utilisateur de personnaliser l'édition de données. Nous portons un intérêt particulier au rassemblement modulaire des Bibles françaises au moyen âge à partir des sources multiples pour la traduction aussi bien que pour les gloses. L’utilisateur aura l’occasion de parcourir et de comparer les profils des manuscrits selon des critères divers (la description matérielle, le contenu, les enluminures, etc.), de faire une recherche classée, de visualiser et d’annoter des livres « virtuels » et de générer des tableurs, des tables et des cartes pour poursuivre des recherches approfondies.

De quoi parle-t-on ?

La Bible en français est bien connue avant le treizième siècle quand paraît la Bible historiale grâce à de nombreux poèmes romancés écrits en vers destinés à raconter la Bible.

La Bible historiale de Guyart-des-Moulins (1297) est un texte fondateur. Guyart-des-Moulins, traducteur de 'l'Historia Scholastica', rédige une traduction exhaustive, fidèle et cultivée de la Bible latine à partir des années 1330/1340. Guyart-des-Moulins se fonde en premier lieu sur le texte authentique de Comestor pour structurer son ouvrage en chapitres. Rappelons que la division en verset est largement postérieure à l'époque médiévale. Cependant le texte littéral et authentique de la Vulgate n’avait point été transcrit dans le Comestor, et c'est en cela que Guyart se démarque de son modèle. C'est ainsi que la bible historiale est bien devenue une Bible glosée.

C’est également une traduction de l’Historia Scholastica parce que l’ouvrage respecte la division en chapitres de Comestor et traduit dans le Pentateuque, en caractères plus petits entre chaque extrait de la Vulgate, un paragraphe de Comestor. Ce livre a été largement diffusé et lu. Il constitue le versant officiel de l’Histoire de la Bible en français au Moyen Âge.

Qu'est-ce que la Bible Historiale

Entre la parution de la Vulgate et le XIe siècle en France, la Bible est essentiellement lue en latin.

La Réforme de la Vulgate dans l’Empire franc est l’œuvre de Charlemagne et la papauté n’a eu qu’une influence mineure. Le siècle de Charlemagne est[1] celui de « l’affrontement et de la dispersion de deux types de manuscrits, ceux émanant d’Angleterre et ceux circulant depuis l’Espagne ». Deux hommes vont incarner cet antagonisme, Alcuin et Théodulfe. Le premier fait venir, en 796, de York, sa ville natale, la bibliothèque que lui a léguée son maître avec les meilleurs manuscrits de la Vulgate qu’il connaissait. Or ce dernier est l’héritier du travail déjà ancien entrepris auparavant en Angleterre sur la Bible où se développent précocement en Europe les premières traductions en langue vernaculaire du texte latin. La période carolingienne est donc, avec Alcuin et Théodulfe, la grande période charnière de redécouverte du texte avant la grande réforme franciscaine des textes latins. Il est même important de rappeler que l’Université, avant la réforme carolingienne ne connaissait le texte que de seconde main. Rappelons enfin que l'éradication des pratiques païennes dans les provinces bretonnes, par exemple, date du IXe siècle. Entre le XIe et XIIIe siècles, on raconte la Bible en français. C'est-à-dire qu'on écrit un roman en vers qui expose les faits des héros bibliques. Il s'agit de longs poèmes en vers qui racontent de manière subjective ces aventures. Les récits sont parfois elliptiques ou romancés pour en faciliter le souvenir : il s'agit en fait d'une catéchèse.

En même temps, on raconte aussi les histoires de la Bible en latin : c'est le texte de Comestor intitulé « L'Historia Scholastica ». Il s'agit d'un ouvrage rédigé à l'intention des moines itinérants en guise de pro memoria dans la perspective des disputes qu'ils auraient pu avoir à soutenir. Il s'agit de petits ouvrages qui traitent de la matière biblique en la divisant en chapitres clairement distingués. Pour chaque personnage, on trouve mention d'une citation de la Glossa Ordinaria ou d'un fait d'érudition.

Le texte latin de l'« Historia Scholastica » de Petrus Comestor, vade-mecum des moines itinérants, premier livre d’histoire de la main de Petrus Comestor (1179), s’est imposé pendant une courte période de l’histoire comme référence incontestable et unique encyclopédie à portée de main tant des étudiants que des moines prêcheurs ou des femmes que l’on peut, à la lumière des belles histoires racontées par Le Mangeur, qualifier de romanesques.

L'influence de Pierre Comestor sur la perception du texte au XIIIe siècle est fondamentale. Son ambition pédagogique trouvera son aboutissement dans deux ouvrages qui vont révolutionner la pensée occidentale, l’Histoire générale d’Alphonse X et la Bible historiale de Guyart des Moulins. Cette dernière servira de base à plus d’une traduction moderne à commencer par celle tant reconnue de Jean de Rély, ce dernier s’étant simplement contenté d’y plaquer la division en versets. Jusqu’au XIIIe siècle, la Bible n’était qu’une collection de livres traduits rangés dans un ordre variable (Samuel Berger a recensé deux cents dispositions différentes). La Bible historiale se lit en chapitres avec, en tête, des rubriques ou des sommaires qui en résument le contenu, conformément à l’usage grec.

Le fait que l'on ait autant besoin de raconter suffit à prouver que les érudits de l'Université ne connaissaient pas bien le texte de la Bible et qu'ils avaient besoin d'acheter des copies en français pour leur permettre de travailler leurs références.

La Bible en prose au Moyen Âge commence avec une première Bible, la « Bible de l'Université » plus pompeusement connue sous le nom de « Bible du treizième siècle ». Il s'agit d'un texte publié sous le règne de saint Louis (ca. 1250) et dont il n'existe que quelques manuscrits du Livre de la Genèse dont on sait depuis les études de Samuel Berger à la fin du XIXe siècle qu'ils ont servi à compléter des exemplaires incomplets de la Bible historiale de Guyart des Moulins avec qui les lecteurs la confondaient. L'histoire de la traduction moderne en prose à l'image de ce que nous connaissons aujourd'hui commence donc à la fin du XIIIe siècle avec la Bible historiale de Guyart des Moulins. A qui demanderait « quelle Bible lisait-on en français au Moyen Âge ? », il faudrait répondre en synthèse :

- que si l’idée est communément répandue que le Moyen Âge est un temps « très chrétien », on a trop souvent tendance à reporter au temps de la Réforme la naissance d’un véritable travail d’édition de la Bible en ramenant toute tentative antérieure au prototype de l’hérétique ou du clerc isolé. Pourtant, à côté des Bibles hérétiques comme « La Noble Leçon » des Vaudois, ont existé des Bibles "universitaires" qui ont abondamment circulé dans le milieu des clercs de l'Université parisienne et des Écoles entre 1250 et 1450. Il s'agit de la Bible dite "de saint Louis" ou "de l'Université" ou encore "du treizième siècle" et de la Bible historiale de Guyart des Moulins.

- qu'il n’y a qu’une et une seule Bible française, la Bible historiale de Guyart des Moulins publiée à la fin du XIIIe siècle (n’ayant à ce jour fait l’objet d’aucun travail d’édition, et inaccessible à la communauté des chercheurs).